
Dans le contexte de la quatrième conférence internationale sur le financement du développement (FfD4) qui se tient à Séville, Espagne, cette semaine, le Forum Politique (FoPo) du Cercle de Coopération des ONGD a envoyé une lettre ouverte au ministre de la Coopération et de l’Action humanitaire, M. Xavier Bettel, pour souligner l’importance et l’urgence accordées par les ONGD à cette conférence. Dans la lettre, que vous pouvez retrouver en intégralité ci-dessous, le FoPo explique les raisons pour lesquelles cette conférence pourrait décider du futur de la coopération internationale, et partage des éléments de propositions à adopter pour assurer un multilatéralisme et une solidarité internationale robustes et durables. (voir la lettre au format pdf)
Monsieur le ministre de la Coopération et de l’action humanitaire,
À l’aube de ce qui semble être un tournant historique pour l’avenir du multilatéralisme et de la coopération au développement, la quatrième conférence internationale sur le financement du développement (FfD4) représente une opportunité rare – la première depuis Addis-Abeba en 2015 – de réajuster, voire reformer le cadre dans lequel s’inscrit la coopération au développement. À partir d’aujourd’hui, des délégations de presque tous les pays du monde, d’organisations et d’institutions internationales, de la société civile et du secteur privé, se réunissent à Séville pour discuter des ambitions et des moyens à consacrer à ce cadre. Dans un contexte de contraction alarmante, voire de retrait total de l’aide publique au développement (APD) par plusieurs bailleurs majeurs, d’un questionnement de la légitimité des institutions multilatérales, et de la violation systémique du droit international dont souffre particulièrement l’action humanitaire, un engagement robuste et cohérent du Luxembourg et de l’Europe est plus crucial que jamais pour assurer un développement global durable, juste et solidaire.
Il est indéniable que la situation géopolitique mondiale actuelle, ainsi que les tendances régionales et nationales à l’autoritarisme, au nationalisme et au repli sur soi, ont un impact fondamental sur l’écosystème de la coopération au développement. Au-delà des coupes budgétaires et de leurs conséquences dévastatrices sur l’objectif principal de l’APD – à savoir l’éradication de la pauvreté – les phénomènes susmentionnés sapent la légitimité de la coopération au développement en tant qu’ensemble de mécanismes permettant de réparer les inégalités mondiales. Que ce soit par le biais des institutions multilatérales, des relations bilatérales entre États ou par le biais de la diplomatie civique des organisations de la société civile (OSC) et des citoyen.ne.s, cet ensemble peut agir comme un catalyseur pour une future coexistence équitable des communautés et des pays du monde dans les limites planétaires. Depuis des décennies, les efforts des acteurs locaux, des sociétés civiles, des professionnels de la coopération, des chercheurs universitaires, des décideurs politiques et de nombre d’autres acteurs contribuent à créer une coopération internationale non-seulement efficiente et efficace, mais aussi de plus en plus inclusive et juste et de plus en plus libérée des vestiges des relations coloniales et des déséquilibres économiques et de pouvoir que celles-ci ont créés et continuent de maintenir. Les résultats de ces efforts, avec leurs effets transversaux renforçant la paix, la résilience et la prospérité dans nos sociétés, sont aujourd’hui menacés. Nous appelons le Luxembourg et l’Union européenne à les protéger, à les revaloriser et à en assurer la continuité lors de la FfD4.
Outre les pressions actuelles qui rendent de plus en plus difficile le bon travail de cet écosystème de la coopération internationale, celui-ci souffre de défaillances structurelles, qui sont parfois encore des vestiges de la période des empires coloniaux et qu’il faut aujourd’hui reformer afin d’éviter un effondrement structurel. Comme le soulignent à juste titre nombre d‘acteurs du Sud Global, les pays du Nord global continuent à garder la mainmise sur la gouvernance des institutions multilatérales, et évitent ainsi une évolution vers un système multilatéral réellement inclusif et agissant au profit de toutes et tous. Le règime fiscal international dicté par les pays du Nord, la crise de la dette publique des pays les moins développés et le refus des pays du Nord d’assumer plus que juste symboliquement leurs responsabilités (historiques) dans des domaines allant du changement climatique aux chaînes d’approvisionnement internationales, en sont peut-être les exemples les plus connus. Aujourd’hui, même le peu de progrès réalisé dans ces domaines risque d’être anéanti par un revirement du système international de la coopération à la confrontation militaire, et du droit international à la dominance du plus fort. C’est pourquoi nous demandons à la délégation luxembourgeoise ainsi qu’à la délégation européenne d’aborder cette conférence non seulement comme un exercice de diplomatie conventionnel, mais aussi comme un moment de réaffirmation des valeurs et de l’importance du multilatéralisme.
Des centaines d’ONGD, OSC, acteurs locaux, réseaux et plateformes nationales et internationales ont mené des échanges, conduits des consultations, tenu des workshops, rédigés des rapports et mobilisé les citoyennes et citoyens afin d’élaborer des recommandations pour les gouvernements qui les représenteront à la FfD4. Un large consensus s’est ainsi dégagé, que nous soutenons fermement en tant que Forum politique du Cercle et que nous vous demandons de prendre en considération. Ce consensus soutien qu’il est urgent que la conférence de Séville réaffirme l’importance et décide des moyens et horizons temporels pour :
L’importance pour la politique de coopération du Luxembourg de certains de ces éléments, tel une APD affirmée, le rôle fondamental du financement public de la coopération internationale et la nécessité de réformer la gouvernance des institutions financières internationales a encore été affirmée lors du discours de Monsieur le ministre de la Coopération et de l’action humanitaire à la Chambre des Député.e.s en février. Depuis, la fissure entre ambition et engagement en matière d’une vision globalement partagée du développement s’est encore agrandie, avec par exemple une distanciation des États-Unis des objectifs de développement durable adoptés par l’UNO en 2015.
Monsieur le ministre, face au refaçonnement historique en cours du système international, le Luxembourg doit être un acteur visionnaire et cohérent. Aujourd’hui, il doit s’engager pour que le système multilatéral soit renforcé et pour que le plus grand nombre de pays puissent y participer et le coconstruire démocratiquement. En tant qu’acteurs privilégiés par le système de gouvernance globale actuel, le Luxembourg et l’Union européenne se trouvent dans une position avantageuse pour contribuer à la réalisation des recommandations susmentionnées. Le Luxembourg, avec sa place financière internationale et son modèle économique particulièrement ouverts au monde, doit en effet réfléchir à la responsabilité qui découle de son poids et de son influence en matière d’architecture fiscale internationale et agir en conséquence. De même, en tant que pays très polluant et grand consommateur de ressources primaires, le Luxembourg ne peut pas ignorer l’impact de ses politiques sur les possibilités de développement durable d’autres pays, jugé particulièrement néfaste par le Sustainable Development Report, dont le spillover score place le Luxembourg en 165ième position de 167 pays évalués[1].
Le Luxembourg est exemplaire avec son engagement de longue date pour une APD de 1% du RNB et le respect du principe de l’additionnalité, ainsi que par son engagement pour un multilatéralisme au service de toutes et tous. Le Forum Politique du Cercle de Coopération des ONGD fait appel à vous, Monsieur le Ministre, pour que le Luxembourg continue d’être un leader et s’engage avec force lors de la quatrième Conférence internationale sur le financement du développement pour une coopération internationale réellement respectueuse et inclusif des acteurs du Sud global, y inclus une réforme des institutions de gouvernance globale ; une coopération internationale réellement dédiée à servir les intérêts des pays les moins développés, y inclus une réforme de la dette ; et une coopération internationale réellement dédiée à le réalisation de l’objectif de l’éradication de la pauvreté, avec une APD de qualité garantie à long terme par des financements publics.
En vous remerciant de vos efforts pour assurer l’avenir d’une coopération internationale basée sur la solidarité internationale, Monsieur le ministre de la Coopération et de l’action humanitaire, nous vous envoyons nos sentiments les plus distingués,
Le Forum Politique du Cercle de Coopération des ONGD
[1] https://dashboards.sdgindex.org/profiles/luxembourg