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Actualités.

18/10/2023

Note de synthèse - L’aide publique au développement en 2022

En 2022, les crises auxquelles les pays du Sud font face se sont encore aggravées. Après la pandémie de Covid-19, qui a impacté des pays déjà en situation de crise climatique et sécuritaire est venue la guerre en Ukraine qui a encore ajouté au fardeau des économies du Sud.

Pour faire face à cette situation quelle a été la réponse des pays les plus riches au niveau global ?

En 2022, L’aide publique au développement (APD) globale a augmenté de 13,6% par rapport à 2021 et a atteint un nouveau record historique de 204 milliards de dollars. Cependant, malgré ces niveaux historiques, il est important d’analyser les chiffres et d’identifier les montants qui ont effectivement été canalisés vers les pays bénéficiaires. En effet, en 2022, si l’on exclut les coûts déclarés de l’accueil des réfugiés dans les pays donateurs qui s’élèvent à 14,4 % de l’APD totale – l’aide n’a augmenté que de 4,6 % en termes réels par rapport à 2021. Si l’on ajoute les dons des excédents de vaccins de Covid-19 et l’allègement net de la dette autorisée, on constate que les pays donateurs ont gonflé leurs chiffres d’APD de 30,9 milliards de dollars (soit près de 15 % de l’APD totale). De plus, le ratio global de l’APD par rapport au revenu national brut (RNB) des pays donateurs n’atteindrait encore que la moitié de l’objectif d’aide internationale de 0,7 %, soit une moyenne de 0,36 % pour l’ensemble des donateurs du CAD de l’OCDE. Bref de gros efforts sont encore à faire.

En outre, l’analyse de la répartition géographique montre que l’aide qui a effectivement été dirigée vers les économies les plus faibles du continent africain est en baisse de 7,4 % en termes réels. La même tendance à la baisse est observée pour l’aide destinée aux pays les moins avancés (PMA).

Et l’APD européenne ? Le rapport Aidwatch

Comme chaque année, le rapport Aidwatch analyse l’APD européenne et de ses pays membres.

En 2022, les pays membres de l’UE ont consacré 84 milliards d’euros pour l’APD soit une augmentation de 19% par rapport à 2021, ce qui représente 0,59% du RNB. Seuls quatre pays (l’Allemagne, le Luxembourg, la Norvège et la Suède) ont atteint ou dépassé l’objectif de 0,7 %.

Malgré une année record en matière du financement de l’APD en 2022, plus de 20% de l’APD rapportée par les états européens ne satisfont pas aux critères établis par Concord pour définir une aide publique au développement authentique et de qualité. Pour Concord, l’APD devrait correspondre aux subventions à des fins de développement et à l’élément concessionnel des prêts à des fins de développement. Le prêt à conditions préférentielles, autrement appelé « concessionnel », est un prêt dont le taux d’intérêt est inférieur aux taux du marché. 

Cela exclut donc les subventions accordées dans le cadre de programmes nationaux, y compris celles concernant l’appui réfugiés dans le pays donateur et l’appui aux étudiants ressortissants de pays en développement. Or, En 2022, les 27 pays européens ont signalé 13,9 milliards dédiés à l’accueil des réfugiés dans les pays bailleurs, ce qui représente 3 fois la moyenne des 3 années précédentes. Cela montre les impacts considérables qu’a eu la guerre en Ukraine. En 2022, les sommes consacrées à l’accueil des personnes réfugiées dans les pays européens s’élevaient à 17% de l’aide publique au développement. Certains pays comme le Luxembourg se sont toujours engagés à ne pas inclure ces coûts dans les comptes de l’APD cependant pour d’autres pays donateurs, comme l’Irlande, la Pologne ou la Tchéquie, l’aide destinée à couvrir l’accueil des réfugiés a atteint ou a dépassé les 50% de l’ensemble de l’APD. Bien qu’il faille souligner ces efforts de solidarité des pays européens envers les populations ukrainiennes, cette aide devrait être additionnelle à l’aide destinée au pays du Sud.

De nombreux pays ont également comptabilisé l’appui aux étudiants étrangers issus de pays en droit de recevoir l’APD. Ainsi l’Allemagne et la France ont consacré 6% et 5% de leur APD pour couvrir les subsides pour les étudiants étrangers.

Les instruments d’appui au secteur privé

Alors que le monde n’est pas sur la bonne voie pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD), les coûts vers la réalisation des ODD varient de 5.400 à 6.400 milliards de dollars par an entre 2023 et 2030, selon une nouvelle analyse d’une agence des Nations Unies. Avec une aide au développement tout juste supérieure à 200 milliards USD en 2022, les moyens financiers sont loin d’être suffisants. Afin de combler ce manque de financement, les pays donateurs veulent encourager les investissements privés vers les pays en développement grâce à des fonds issus de l’APD. Ceci avec un slogan  : « From Billions to Trillions » Selon ce narratif, les milliards de l’aide au développement doivent permettre de mobiliser des billions de capitaux privés. Même si les financements vers les instruments du secteur privé restent modestes pour l’instant, en 2022 ce sont 2,5 milliards ou 3% de l’APD européenne, ce type de financement a connu une croissance constante au cours des dernières années. Cette croissance a lieu sans que les pays de l’UE ne mettent en place des mesures visant à garantir la transparence des flux et à s’assurer que le soutien au secteur privé contribue effectivement au développement durable et à la réduction des inégalités.

Est-ce que l’APD a permis de réduire les inégalités dans les pays bénéficiaires ?

Le rapport AidWatch a analysé la manière dont l’APD contribue réellement au développement humain et à la réduction de toutes les formes d’inégalités, tant entre les pays qu’à l’intérieur de ceux-ci.

L’étude montre que les allocations actuelles d’APD répondent encore, dans une large mesure, à des intérêts nationaux et géopolitiques plutôt qu’à une volonté de soutenir les priorités des pays partenaires. Le soutien aux secteurs clés susceptibles de combler les inégalités au sein des pays, tels que l’égalité des sexes ou le soutien aux organisations de la société civile, n’ont pas augmenté conformément aux engagements des états et les engagements financiers en faveur du développement humain ne sont pas à la hauteur des besoins des populations des pays bénéficiaires.

L’APD européenne et le financement climatique

L’étude a montré que les pays du Sud les plus riches recevaient plus de financements climatiques que les pays les plus pauvres et que seulement 37% du financement climatique était destiné à des projets d’adaptation. Le reste allait pour des projets de mitigation, or on sait que pour soulager les populations les plus vulnérables au changement climatique, les projets d’adaptation devraient être la priorité. Les gouvernements africains ont d’ailleurs souligné que le financement de l’adaptation au changement climatique était une priorité urgente.       

Le rapport insiste également sur le fait que le financement climatique doit être additionnel au financement du développement. Idéalement, les pays riches devraient suivre l’exemple du Luxembourg, de la Norvège et de la Suède en fournissant l’ensemble de leur financement climatique en plus de l’engagement à consacrer 0,7 % de leur RNB à l’APD.

L’APD et les organisations de la société civile

Le rapport Aidwatch analyse l’APD qui finance les ONGD et qui est canalisée par leur intermédiaire. De cette analyse ressort que la plupart des financements liés à la société civile sont acheminés par l’intermédiaire des OSC pour la mise en œuvre de programmes et de projets prédéfinis comme dans le cadre des appels d’offre. Cependant, un financement de base (core funding), flexible et pluriannuel de la société civile est essentiel pour créer un environnement favorable permettant aux OSC de survivre et de prospérer, y compris dans des contextes fragiles, et de fixer leurs propres priorités en fonction de la situation et des besoins locaux.

Et le Luxembourg

En 2022, l’APD du Luxembourg s’élève à 476 millions d’euros[1] (10,5 % de plus qu’en 2021) et représente 1 % du revenu national brut (RNB).

Le Luxembourg reste un donateur modèle au niveau européen : le Luxembourg reste fidèle à son engagement de consacrer 1% de son RNB à l’APD et à certains principes essentiels de la qualité de l’aide, à savoir l’additionnalité du financement climatique et des frais pour l’accueil des réfugiés, une APD basée principalement sur les dons et non le prêt, un financement des OSC conséquent, et une priorisation du financement dirigé vers les pays les moins avancés (PMA). Le  Luxembourg continue de respecter son engagement de consacrer au moins 0,2 % de son RNB aux PMA et, en 2022, six des dix premiers pays récipiendaires de l’APD luxembourgeoise sont des PMA.

L’année 2022 a été marquée par une augmentation du budget alloué aux organisations multilatérales, avec notamment la signature d’un premier accord-cadre pluriannuel pour la période 2023-2025 avec ONU-Femmes. La Direction de la coopération au développement a publié une nouvelle stratégie pour l’action humanitaire en 2022. Cette stratégie engage le Luxembourg à consacrer au moins 15 % des ressources de l’APD à des fins humanitaires. L’aide humanitaire, qui est incluse dans la coopération bilatérale, a représenté 17,39 % de l’APD en 2022, soit une augmentation de près de 4 % par rapport à 2021.

Voici quelques recommandations que le Cercle a émises dans le cadre du rapport :

  • Poursuivre la réflexion sur la localisation de l’aide et développer de nouveaux instruments financiers pour soutenir le financement de base des OSC locales du Sud, en particulier les organisations de défense des droits des femmes.
  • Ouvrir un cadre de réflexion multi-acteurs sur la financiarisation du développement international.
  • Améliorer le débat et l’évaluation des questions de cohérence politique au sein du gouvernement et permettre une plus grande contribution de la société civile aux débats actuels ; ceux-ci incluent la discussion sur la manière dont le centre financier luxembourgeois a un impact sur la mobilisation des ressources nationales dans les pays du Sud.
  • Rester attaché à la quantité et à la qualité de l’APD sous le nouveau gouvernement qui sera formé en 2023.

[1] Ce chiffre correspond au calcul effectué par l’équipe de consultants afin d’obtenir l’aide réelle. Le chiffre de l’APD luxembourgeoise dans le rapport annuel de la coopération est lui de 503,87 millions d’euros